La vieille étable et l’inscription
8 avril 2020Les yeux des soignants
26 avril 2020Le confinement est décrété depuis dix jours. Partout dans le monde, le nombre de victimes s’allonge. Les chaines TV, les radios, les médias écrits ne parlent plus que de ce virus inconnu qui met l’économie à l’arrêt et oblige les humains à faire une pause dans leur vie. A ce moment, personne ne sait vraiment comment il se transmet d’une personne à l’autre. Tout juste sait-on qu’il est particulièrement contagieux. Déjà, on ne s’embrasse plus, on ne s’enlace pas, on ne se serre plus la main. L’atmosphère est si lourde qu’on ne s’approche plus, qu’on ose à peine se regarder de peur que le virus ne profite de cette brèche pour s’engouffrer. Il règne partout un silence prégnant. Le temps semble suspendu, comme en attente d’une catastrophe annoncée. Les Iliens du Pacifique connaissent bien ces périodes quand un cyclone s’annonce et que tout le monde, nature comprise, retient son souffle. En ce début de confinement, beaucoup d’entreprises sont en stand by. Certaines, qui ne nécessitent pas de contact clientèle, continuent pourtant.
Ce jour-là, ce sont deux techniciens de téléphonie qui interviennent sur la ligne. Un premier contact téléphonique pour vérifier qu’ils sont bien à la bonne adresse. Puis un seconde pour dire qu’il faut sortir le matériel à l’extérieur et rester à bonne distance quand ils vont venir vérifier sa fiabilité. Ces précautions prises, un des techniciens arrive. La cinquantaine, le visage jovial malgré les circonstances, père de famille visiblement, grand-père même peut-être. Il s’excuse des désagréments occasionnés par le corona et s’active. Puis il rejoint son partenaire installé dans la nacelle et lui indique le problème à résoudre.
Etonnant de voir les gens enfermés chez eux et ces deux hommes en train de faire leur travail comme si de rien n’était. L’homme revient vérifier que tout fonctionne et nous nous regardons. Quand tout ne doit plus passer que par le regard, le dialogue n’en est que plus profond… Se tisse alors entre nous un lien indéfinissable, un lien teinté de sollicitude, de bienveillance et d’affection conjuguées. Après nous être salués, l’homme rejoint son collègue. Ils ne démarrent pas de suite. Pas possible de les laisser repartir comme ça. Ils ont bravé le danger, risqué leur vie peut-être pour continuer à assurer leur mission de service public. Je cherche ce que je peux leur offrir, quelque chose dont ils vont pouvoir profiter de suite. Une tablette de chocolat et un attrape-rêve confectionné par ma fille. Je cours leur apporter ce petit présent. Ils sont confus tous les deux. Confus et émus. « L’attrape-rêve, c’est pour nous protéger, n’est-ce pas ? » Je fais un signe d’assentiment, le cœur soudain serré. Nos regards se croisent et restent un long moment connectés. Le sentiment d’une dernière fois, d’une vie en danger, d’un moment de grâce aussi.
Quand le camion passe devant la barrière, nous nous saluons de grands signes de la main comme de vieux amis qui n’attendent qu’une chose : se retrouver et partager d’autres moments ensemble quand tout cela sera fini.
Aujourd’hui encore, je ressens l’intensité de cet échange silencieux. Aujourd’hui encore, je pense à cet homme en espérant qu’il soit passé entre les gouttes et qu’un jour, nous puissions nous revoir.