En route pour la transhumance des abeilles!
2 juin 2020Mais vous étiez où?
4 août 2020Un soir d’été, aux Halles Vauban, à Perpignan. Les visiteurs se comptent sur les doigts d’une main. La faute à ce coronavirus de malheur et à ce fichu masque qui enlève toute envie d’aller vers ses congénères et d’échanger. Les professionnels tuent l’ennui en s’entêtant à préparer de bons petits plats pour celles et ceux qui iront au-delà de la gêne occasionnée. Comme on peut quand même enlever son masque pour se sustenter, la meilleure chose à faire reste de manger…
A la Gourmetterie, l’âmie Chantal n’est pas là, mais son fils Lolo et sa fille Vanessa la remplacent très bien. Nous refaisons le monde, comme d’habitude, autour d’un bon verre de vin et de quelques tranches de saucisson.
Arrive un jeune homme (en tout cas, c’est ce qu’il dégage) celui que mes amis appellent l’Anglais, mais qui n’a d’anglais que le « London » qu’il affiche sur son tee-shirt bleu-émeraude et le prénom ! Encore que… « Quand je suis né, mon père revenait du Brésil où il y a pléthore de Nelson, d’où mon prénom… » Il y aurait des livres à écrire sur ce qui motive chacun à choisir tel ou tel prénom pour son enfant… Bref, comme toujours à la Gourmetterie, on a beau ne pas se connaitre, on se met tous à discuter à bâtons rompus. Et soudain, à la question de savoir ce qu’il fait dans la vie, Nelson répond : « Plus rien actuellement, mais j’ai été dix ans journaliste porno. » Vous imaginez bien que pour la journaliste que j’ai été, la phrase ne passe pas inaperçue ! Comment, il existe des journalistes pornos ? Piquée par la curiosité, j’interroge Nelson sur son parcours, sur ses motivations. « Il n’y a rien à comprendre, c’est juste une question d’opportunité. J’étais journaliste sportif au Parisien quand un jour, lors d’une conférence de rédaction, j’ai envoyé bouler le rédacteur en chef. Je me suis retrouvé sans boulot. Un ami m’alors proposé de travailler pour un journal spécialisé dans le porno. Comme je parlais déjà très bien l’anglais, j’ai été pris. »
Une certaine idée de l’amour
De son travail, Nelson dit qu’il lui a permis de visiter 70 pays. Il raconte aussi que « beaucoup de ceux qui viennent dans ce milieu ont des histoires personnelles et familiales pas trop drôles marqués par la violence et le viol », que les femmes sont payées le double des hommes dans ce genre de boulot, que certaines le font par nécessité et qu’elles gagnent en une journée ce qu’elles gagneraient en un mois avec un petit boulot. Il parle de tout ça naturellement, sans émotion apparente. « Même si je ne cautionne pas, je me garde bien de juger. Chacun a ses raisons, chacun vit ce qu’il a à vivre. » Je le pousse alors dans ses retranchements. Quelle idée peut-on avoir de l’amour quand on a écumé de tels plateaux pendant dix ans ? « Même si on ne peut pas nier les réseaux de prostitution inhérents à ce genre de commerce, j’ai vu beaucoup d’histoires d’amour sur les tournages et surtout beaucoup de gens en manque de tendresse. Les actrices et acteurs porno sont comme des gosses hors des plateaux. Ils se tiennent pas la main, se font des câlins, des mamours. Les filles ont des ours en peluche sur les tournages. Il y a des couples qui se forment, il y en a même qui se marient. »
Je veux en savoir plus sur sa conception à lui. Nelson ne se fait pas prier. « Moi, ma conception de l’amour n’a rien à voir avec le fait que j’étais dans le porno. Je crois que c’est chacun chez soi et que c’est très bien comme ça. Le couple 24 heures sur 24 qui vit ensemble sous le même toit, c’est inconcevable, c’est un tue-l’amour pour moi. Il faut s’accorder beaucoup de liberté pour que ça puisse durer. Combien de gens restent ensemble par confort ? Confort affectif, confort matériel, peur de se retrouver seul… J’en ai plein de gens comme ça autour de moi, on en a tous. Aimer, ce n’est pas ça, ça ne devrait pas être ça. Fréquenter un tel milieu te fait regarder les choses différemment. Les gens du porno te font vivre le rapport au sexe, à la tendresse d’une autre façon. Au début, tu regardes ça avec curiosité et après, tu te dis que finalement, c’est une certaine conception de la vie même si ce n’est pas donné à tout le monde de pouvoir le vivre… »
Nous nous quittons sur ces mots. Je pars avec le sentiment que décidément, il faut toujours aller au-delà des apparences, y compris de ce qui peut nous paraitre glauque ou totalement étranger. Il ne s’agit pas de cautionner ou de condamner, juste de comprendre.