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« Ses mains balaient une poussière imaginaire…

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Une lampe allumée au-dessus de la table. Un visage dans la pénombre. Dehors, une nuit paresseuse, un port encore endormi, un ciel brillant d’étoiles. Et lui, assis à cette table. Lui qui plonge dans ses souvenirs, les yeux baissés vers ses mains. Ses mains qui, machinalement, balaient une poussière imaginaire comme on balaie les pages d’un livre, comme on chasse les souvenirs d’une vie. Il parle doucement. D’une voix presque inaudible. Il raconte son enfance, ses parents, ses grands-parents. Sans émotion particulière, mais avec le souci de précision de ceux qui ne veulent oublier aucun détail. Avec, aussi, de petits sourires malicieux qui viennent éclairer son visage de la douceur des moments chéris. Parfois, ses mains se posent sur la table en verre, se rejoignent, se serrent comme pour contenir quelque chose qui pourrait remonter à son insu et qu’il veut garder pour lui. Tout au long de son retour dans le passé, ses yeux resteront fixés sur ses mains. Il gardera la même position figée. En fait, il n’est pas là. Il est retourné à l’époque qu’il raconte. Il se revoit dans les lieux. Il les revisite, en redessine chaque recoin. Il est là-bas, dans la maison de sa grand-mère. Il sent les odeurs des plats, du bon pain chaud, de la cancoillotte qui mijotent sur le grand piano à bois ou cuisent dans le four depuis l’aube. Il presse contre sa joue, hume jusqu’à l’ivresse les sachets de lavande qu’il se plaisait à amasser sous son oreiller après en avoir écrasé les graines sèches et odorantes à souhait. Puis ses mains, de nouveau, balaient la poussière imaginaire. La poussière que le temps a fini par laisser s’amasser sur sa vie. Il la balaie doucement, délicatement, sans mouvement brusque. Comme pour ne rien abimer, comme pour livrer, intactes, les franges de sa vie qu’il avait tues jusqu’alors. Dehors, le jour pointe à l’horizon. Curieusement, les bateaux de pêche restent à quai. Figés. Suspendus au voyage dans le temps de celui qui les regardent partir chaque matin. Ses yeux se lèvent soudain. Le silence s’installe. Sensation d’éternité que seul procure le temps suspendu. Plus de mots mais la prière muette d’une pause. Le temps de laisser le jour s’emparer de la nuit. Le temps de reprendre sa respiration aussi. Et de revenir dans ce monde. Dans le présent surtout. Besoin de respirer l’air frais de ce matin d’hiver avant de reprendre, précautionneusement, le voyage dans le passé, avant de retourner au cœur de lui-même, là où son âme sommeille encore parfois… « Christine Allix


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